Le vieil homme et sa pipe
Sur un banc
Un vieil homme
Fume sa pipe.
Il regarde les nuages
Qui voyagent
Dans le ciel .
Il pense au temps passé .
Sa pipe fait des petits nuages gris
Qui s’envolent
Comme des oiseaux de fumée,
Comme des pensées
Echappées du passé.
*
Tous les jours il s’assoit
Sur le banc ,
Il sort sa pipe
Et sa tabatière .
Il met beaucoup de temps
Pour la bourrer,
Beaucoup de temps pour l’allumer.
Le vieil homme a le temps,
Le temps des nuages
Le temps du passé .
La pluie ne le gène pas
Il a un lourd manteau d’hiver,
Le soleil ne l’embête pas
Il a un grand chapeau de paille.
*
« Depuis combien de temps
Suis je là avec ma pipe,
Mes nuages gris
Et mes pensées du passé ,
Demande le vieil homme aux oiseaux ? »
Il n’a jamais de réponse
Car les oiseaux s’envolent,
La fumée de sa pipe s’envole
Le passé s’envolent,
Tout s’envole à tire-d’aile .
Il ne reste que le banc
La pipe et la tabatière ,
La grande carcasse du vieil homme
Qui parlent à son hier .
*
Dans les nuages gris
De sa pipe
Il y a des dessins .
Mais il est le seul à les voir .
Ca commence toujours
Par un petit garçon
Qui joue aux soldats de plomb,
Un gentil chien câlin
Lui lèche la main .
Puis il y a une dame
Aux cheveux de lumière
Et puis, et puis, il ya la guerre
Et ses soldats de misère…
*
Chaque bouffée de fumée
Fait un visage perdu
Qui s’effiloche doucement
Au gré du vent ,
Puis il rejoint le nuage gris
Qui flotte au-dessus de sa tête .
Mais quand il ferme les yeux
Alors, c’est la fête !
Tous les amis d’antan,
Les hommes et les bêtes
Dansent avec lui
Au bal des souvenirs .
*
« Loulou mon gentil chien
Où étais tu passé?
Viens , viens,
nous allons courir dans les prés !
Si je tombe dans l’herbe folle
Maman va nous gronder … »
Un grand soleil jaune
Se lève dans sa tête
Et sort par le culot de sa pipe.
Il entend le jappement du chien
Dans le sifflement de l’air
Qui passe par le tuyau de bois .
*
La belle dame au cheveux de lumière
Lui fait des sourires,
Elle chante une chanson
Et fait un bisou sur sa bouche.
« Où étais tu mon amoureuse ?
Viens ,on va se promener dans la forêt .
Si on ne revient pas avant la nuit
Ton père va te disputer ...»
Et de ses lèvres serrées
sort une bouffée tendre ,
Un cœur de fumée
Qui s’effiloche doucement
Au gré du vent.
*
« Ah, te voilà, mon camarade ,
Mon vieux copain,
Mon pauvre ami !
Mais où sont passés ta mitraillette
Ton casque en fer
Et nos ennemis ?
Tu as peur …
Tes dents jouent de la castagnette !
Viens, on va ficher le camp d’ici ! »
Et un grand feu s’allume dans la pipe
Qui tonne et vibre comme un canon,
Des nuages noirs
Des nuages gris
S’échappent en petites explosions .
*
Sur un banc
Un vieil homme
Fumait sa pipe.
La pipe s’est éteinte
La pluie la mouillée,
Le vent l’a soufflée .
Il a ouvert les yeux
Des yeux pleins de fumée,
Des yeux d’hier
Dans les nuages d’aujourd’hui.
Sur un banc
Un vieil homme
Fumait son passé.
*
Lionel Deyna , Histoires de rien 2008