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Histoires de rien
2 décembre 2008

La fille qui entendait la mer

C’était une fille de la plaine

Au visage long et pâle .

Devant sa maison s’étendait un océan de blé,

A perte de vue.

Les gens du village l’appelait la folle :

Elle disait à tout le monde qu’elle entendait la mer.

La mer, ici, on en avait entendu parler ....

Mais personne ne l’avait vue .

Personne ne l’avait entendue non plus .

La mer, c’était loin ;

c’était pour les marins

et les vacanciers,

pas pour les paysans de la plaine .

*

Le soir, on la voyait debout à la fenêtre de sa chambre.

Elle regardait au loin .

Ses cheveux s’ agitaient comme des algues brunes

brassées dans le ressac du vent de la plaine.

On disait en la voyant :

« Tiens, la folle écoute la mer »

Et on rigolait avant d’aller boire un coup

au bistrot du village .

Elle n’avait pas d’ami.

Les gens ont peur de devenir fou.

On l’évitait ,

comme si la folie s’attrapait …

*

Mais elle n’était pas folle,

Elle entendait la mer .

Ca avait commencé un jour de printemps

Quand elle avait neufs ans .

Son oncle était venu rendre visite à la famille.

Il lui avait rapporté un gros coquillage d’Afrique

Pour son anniversaire .

« Mets ton oreille dans l’ouverture de la coquille , Anouk...

écoute, tu vas entendre la mer »

Elle avait écouté et elle avait entendu la mer .

C’était merveilleux.

Comme à tous les enfants de la terre, la mer avait vraiment parlé.

Contrairement à tous les enfants de la terre , la mer continuait de lui parler .

Toujours, depuis ce jour.

*

Ce n’était pas un drame pour elle .

C’était un drame pour ses parents .

Pour les voisins aussi, qui hochaient la tête en silence en regardant

s'asseoir la famille ,le dimanche matin, à l’église .

C’était un drame pour le curé , pour les docteurs , pour l’instituteur du

Village .

C’était un drame pour tous les gens important de sa vie.

Ca la rendait triste , mais elle entendait la mer et c’était comme ça .

*

Le soir, elle fermait les yeux ,debout devant sa fenêtre ouverte .

Le tam-tam roulant d’un moteur de chalutier envahissait l’espace.

Et tandis que le tracteur du voisin répandait l’engrais , les grives

lançaient des cris de mouettes rieuses dans l’odeur de poisson.

En ouvrant son coffre à secret, elle entendait le cliquetis des drisses contre

le mat d’un voilier, puis le vent dans la cheminée soufflait des tempêtes

marines.

La nuit, elle se relevait , regardait la plaine derrière les rideaux et ce qu’elle

voyait à la lueur de la lune, c’était la houle qui vient frapper le mur d’un

phare oublié

*

Sa mère n’en pouvait plus .

« Tu as presque douze ans Anouk,

quand vas tu faire cesser ces

Sornettes ?

Mais invariablement Anouk répondait :

J’entends la mer, pourquoi cela est il un drame pour vous tous ? »

Un matin , un homme habillé tout en noir arriva au village entouré de deux

hommes habillés tout en blanc.

Les enfants se cachèrent et les gens chuchotèrent .

« C’est pour Anouk, ils vont l’emmener . »

Les hommes discutèrent avec les parents puis ils prirent la jeune fille par

les épaules et l’emmenèrent de force dans une camionnette blanche .

La mère pleurait.

Le père était grave et entourait les épaules de la mère avec ses bras de

Paysan.

Les voisins regardaient la scène en se mordant le poing .

*

Plus tard , Anouk se réveilla dans une chambre .

Elle était allongée sur un lit en fer .

Une dame lui avait apporté un petit déjeuner .

Ensuite on lui posa plein de questions :

« Pourquoi entends tu la mer quand elle n’est pas là ?

– Parce que sa voix est jolie , parce qu’elle me parle , parce que c’est ainsi.

– Tu as des voix qui te parlent dans la tête?

– Non, pas du tout ! juste la mer, les vagues

et le vent qui s’engouffre dans

les voiles .

– Mais comment peux tu connaître tout cela, puisque tu n’as jamais vu la

mer en vrai ?

– C’est vrai, je ne l’ai jamais vue, mais je l’ai entendue… »

C’était un dialogue de sourd pour les psychiatres.

Ils décidèrent de la garder quelques temps pour la soigner.

*

Un soir, comme elle le faisait chez elle, Anouk ouvrit la fenêtre .

Derrière les barreaux de fer , s’étendait une longue plaine bleue foncée

avec de drôles d’oiseaux blancs qui flottaient dessus.

Le vent lui apportait des senteurs étranges, du sel et du poisson.

Elle dit: « Je le savais, cela existe !

Alors elle entendit la mer lui parler pour la dernière fois :

Si tu veux vivre, mon enfant, tu devras oublier ma musique .

Fais donc semblant d’être sourde !

Ils te laisseront partir .

Mais toujours tu chercheras ma voix,

comme les marins,

Comme les pêcheurs

Comme les gardiens de phare,

Comme tous les gens qui m’ont entendue une fois "

*

Anouk était guérie .

Pour les médecins , tout était rentré dans l’ordre.

Elle retourna chez elle .

Elle travailla dur à l’école.

Elle obtint plein de diplômes et devint capitaine de bateau .

Maintenant qu’elle est grande et forte et belle comme tous les capitaines de

bateaux, elle traverse les mers et les océans de la terre .

Le soir , dans sa cabine , juste après avoir donné le quart à son second,

Elle écoute la mer dans la bouche ouverte d’un gros coquillage .

Puis elle écrit des poèmes pour retrouver la voix .

***

Lionel Deyna, histoires de rien, 2008

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